Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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Charles Nodier, Voyage aux Alpes

Ed. la guêpine1

Les bosquets de Maglan2

La route de Genève aux bosquets de Maglan offre cette richesse et cette variété d’aspects qui caractérisent les montagnes, richesse inépuisable, variété toujours plus piquante, que la moindre circonstance renouvelle. La dernière fois que nous la parcourûmes, la matinée avait été plongée dans d’épais brouillards. Nous étions arrivés jusqu’à Contamine sans distinguer la haute pointe du Môle, et le Salève, à peine frappé de quelques rayons égarés dans la vapeur immense qui nous enveloppait, dessinait seulement de temps à autre un profil brillant qui courait comme un éclair entre deux nuages. Tout-à-coup le soleil sembla triompher de ce dernier obstacle : ses rayons plus vifs pénétrèrent la masse entière des ténèbres avec la puissance du fer ardent que le forgeron plonge dans l’eau en le tirant de la fournaise ; et ce fut alors un spectacle admirable, surtout pour l’homme qui aurait été capable de le peindre. Les brumes, repoussées vers toutes les extrémités de l’horizon, se roulaient sur elles-mêmes comme de légères bandes de laine cardée abandonnées au vent, flottaient un instant et tombaient. Déjà le sommet des montagnes coupait ça et là leur surface comme le banc d’écume qui se lève sur les mers, une aiguille de basalte la perçait comme un mât, un nuage plus éclairé l’effleurait comme une voile3.

Voyage à Tête-Noire

[…]

Vous avez souvent éprouvé comme moi l’inévitable ennui de ces rencontres inopinées qui désenchantent aujourd’hui l’imagination dans toute la solitude, et qui viennent rappeler les salons de Londres et de Paris, au milieu des scènes les plus solennelles de la nature. Rousseau exprime quelque part avec son éloquence ordinaire l’indignation que lui inspira le bruit d’un métier à bras4 dans une de ces forêts vierges où il semblerait que l’homme ne fût jamais parvenu. Qu’aurait-il dit si on y avait été poursuivi de son temps par la cohue insipide des élégants et des dandys qui viennent se faire voir aux Alpes, et s’il eût été condamné à subir au bord des abîmes, une conversation composée de tout ce qu’il y a de plus substantiel dans la politique des petits journaux, et de plus solidement littéraire dans les débats des coulisses ?5

Le Mont Saint-Bernard (1826)

Une foule de voyageurs ont fait le tour de l’Europe sans rassembler autant de sensations diverses que deux jours de ma vie m’en ont procuré. La puissance des impressions résulte surtout de la variété des objets, de la succession d’effets opposés que leur rapprochement rend extraordinaires. On peut parcourir une partie de la circonférence de la terre dans des circonstances données, et avec une habile combinaison de précautions, sans s’imaginer qu’on change de climat. Il est mille fois plus piquant de se précipiter de minute en minute dans tous les accidens [sic] d’une autre nature, d’un autre univers. C’est ce qui arrive au voyageur de montagne.

Nous partîmes de Martigny le 19 août, à cinq heures du matin. À peine a-t-on quitté la grande vallée du Rhône, qu’on s’élève par une route très-bien faite, que dominent des rochers frappés de larges feuillets de Mica, comme d’une décoration spéculaire préparée pour les fêtes publiques, au premier degré du Mont-Géant…

[…]

Liddes ne manque pas de l’album obligé où la vanité aime à consigner des noms et des titres qu’elle prend pour des faits importants, des dates qu’elle prend pour des époques, des phrases qu’elle prend pour des pensées, habitude qui n’était que niaise, et dont la police méticuleuse et tracassière de la Sainte-Alliance a fait une obligation dérisoire.



Notes