Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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  D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e    Les belles lettres

Charles de Saint-Evremond, Œuvres

Conversation du Maréchal d’Hocquincourt avec le P. Canaye

Après que le bon Père eut fini ses pieuses réflexions, je crus qu’il m’étoit permis d’entrer en discours, et je demandai à M. le maréchal si l’amour de la philosophie n’avoit pas succede à la passion qu’il avoit eue pour madame de Montbazon.

« Je ne l’ai que trop aimée la philosophie, dit le maréchal, je ne l’ai que trop aimée ; mais j’en suis revenu, et je n’y retourne pas. Un diable de philosophe m’avoit tellement embrouillé la cervelle de premiers parents, de pomme, de serpent, de paradis terrestre et de chérubins, que j’étois sur le point de ne rien croire. Le diable m’emporte si je croyois rien. Depuis ce temps-là, je me ferois crucifier pour la religion. Ce n’est pas que j’y voie plus de raison ; au contraire, moins que jamais : mais je ne saurois que vous dire, je me ferois crucifier, sans savoir pourquoi. »

« Tant mieux, Monseigneur, reprit le Père d’un ton de nez fort dévot, tant mieux ; ce ne sont point mouvements humains, cela vient de Dieu. POINT DE RAISON ! C’est la vraie religion, cela. POINT DE RAISON ! Que Dieu vous a fait, Monseigneur, une belle grâce ! Estote sicut infantes ; soyez comme des enfants. Les enfants ont encore leur innocence ; et pourquoi ? Parce qu’ils n’ont point de raison. Beati pauperes spiritu ! bienheureux les pauvres d’esprit ! ils ne pèchent point. La raison ? C’est qu’ils n’ont point de raison. POINT DE RAISON ; JE NE SAUROIS QUE VOUS DIRE; JE NE SAIS POURQUOI ! Les beaux mots ! Ils devroient être écrits en lettres d’or. CE N’EST PAS QUE J’Y VOIE PLUS DE RAISON; AU CONTRAIRE, MOINS QUE JAMAIS. En vérité, cela est divin, pour ceux qui ont le goût des choses du ciel. POINT DE RAISON ! Que Dieu vous a fait, Monseigneur, une belle grâce ! »