Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres
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   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

Jon Fosse, Septologie

Éd. Christian Bourgois

Trad. Jean-Baptiste Coursaud

L’autre nom

I

[…] qu’elle rejoigne ce nouvel homme qu’elle s’est trouvé, elle a emmené les enfants, elle est partie, et il s’est retrouvé seul, tout seul, et Siv a exigé de l’argent, par courrier, pour ceci et pour cela, et quoi qu’elle exige il a toujours payé, aussi vrai qu’il avait de l’argent, pense Asle, mais pourquoi penser à ça ? pense Asle, c’est de l’histoire ancienne, et tout est bien arrangé, tout est préparé, les ustensiles de peinture sont à leur place sur la table, les tableaux sont empilés, châssis apparent, les pinceaux sont nettoyés, rincés à la térébenthine, disposés à la suite les uns des autres, alignés en fonction de leur taille, les tubes de peinture sont également disposés à la suite les uns des autres, alignés en fonction du volume qu’ils contiennent encore, chaque bouchon est bien refermé, le chevalet est vide, tout est bien rangé, bien à sa place, bien en ordre, il est couché sur le canapé et il tremble, il ne pense à rien, il tremble uniquement, et il pense à nouveau qu’il va se lever, qu’il va refermer la porte derrière lui, qu’il va sortir, qu’il va descendre au bord de l’eau, qu’il va entrer dans la mer, qu’il va s’avancer dans la mer, qu’il va marcher jusqu’à ce que les vagues déferlent sur lui et qu’il disparaisse dans la mer, et il y pense encore et encore, car sinon il n’y a rien, il n’y a que les ténèbres du néant, qui de temps en temps, brusquement, fusent en lui comme un éclair, et là, ou, là il est rempli d’une sorte de bonheur, et il pense alors qu’un néant vide existe peut-être quelque part, une lumière vide, et si seulement tout pouvait être comme ça ? pense Asle, une lumière vide, et si seulement un endroit comme ça pouvait exister ?

[…]

oui, oui dans ma vie il en est en tout cas allé ainsi, c’est quand l’opacité dominait que la lumière a été le plus visible, et quand l’obscurité est devenue lumineuse, tout comme le sont peut-être les images que je peins, en tout cas je l’espère, et c’est ça que j’ai essayé de dire à Åsleik, mais jamais je n’arrive à le lui faire comprendre, et c’est pour ça que je ne lui en parle plus, car toujours il me dit, et il le dira encore, que lui, Åsleik, il fait partie des impies, on vit puis on meurt, c’est comme ça, ni plus ni moins, et il ne veut pas entendre parler d’une lumière invisible, voilà ce qu’il me dira, et c’est pour ça que je ne lui en parle plus, on vit puis on meurt, c’est comme ça, ni plus ni moins, il dit Åsleik, et il n’a pas tout à fait tort, mais peut-être que ce n’est pas aussi simple non plus, car la vie c’est à n’y comprendre goutte, et la mort aussi d’ailleurs, et pourtant d’une façon pour le moins surprenante on peut comprendre tant la vie que la mort, si ce n’est en pensée, en tout cas par la lumière, car d’une certaine manière, la lumière les comprend, je pense, et la vie, et la peinture également, elles prennent sens parce qu’elles sont liées à cette lumière, oui, ce que je fais quand je peins a à voir avec la lumière, même si personne à part moi ne la voit, car il est probable que personne ne la voit, je pense, les gens pensent à autre chose, les gens pensent au tableau, s’il est beau ou laid, ils pensent à ce genre de choses, voilà pourquoi je ne supporte pas de penser à ces tableaux que je peignais pour gagner de l’argent quand j’étais gamin, ce n’étaient que des tableaux, c’étaient des images dépourvues de lumière, ces tableaux étaient uniquement beaux et par conséquent ils étaient laids, ils étaient ressemblants, qu’est-ce qu’ils étaient ressemblants, le soleil étincelait, il y avait de la lumière partout et par conséquent il n’y avait pas de la lumière, ou il n’y avait de la lumière que dans les ombres, peut-être, je pense, et j’entends brusquement Åsleik dire que même s’il n’est qu’un simple pêcheur il sait que tout est lié par une grande cohérence indécomposable […]

[…]

Non, mais dans la vie ce n’est pas qu’un coup de chance, c’est évident, je dis

Oui, c’est évident, il dit

et il regarde par terre, avec sa façon bien à lui de regarder, et quand il regarde comme ça tête baissée il ne donne pas l’impression de regarder par terre, il donne plutôt l’impression de regarder en l’air, il donne l’impression d’avoir la tête relevée et de tout voir, de voir une grande logique sans en avoir conscience, et là une expression se pose sur son visage, oui, comme s’il sortait brusquement de ce monde cruel et entrait dans une clairière de calme, de silence, de lumière, oui, une clairière d’obscurité lumineuse, comme s’il sortait de lui-même, de celui qu’il est d’habitude, comme s’il ne savait rien sur lui-même, comme s’il était hors de lui-même à l’endroit où il se trouve en ce moment et regarde par terre tête baissée, avec une lumière comme seul le ciel peut brusquement en diffuser, avec les nuages, quand la lumière le veut bien, oui, une lumière similaire sort de lui, et une lumière pareille peut aussi sortir d’un chien, de l’œil d’un chien, oui, ça arrive souvent, oui, si j’y réfléchis bien, j’ai souvent vu cette lumière singulière sortir de l’œil d’un chien.

[…]

et je pense qu’au bout d’un moment il m’est apparu avec une netteté toujours plus grande que les peintures que je préférais, les artistes dont je me sentais le plus proche, étaient ceux qui avaient leur image individuelle la plus claire, ou comment dire ? Une image qu’ils peignaient encore et encore alors que l’image n’était jamais identique, non, jamais, ces images étaient toujours différentes alors que toutes ces images se ressemblaient, et elles ressemblaient à une image qui n’était jamais peinte, qui ne pourrait jamais être peinte, mais qui était toujours invisible derrière ou dans l’image qui était peinte et de ce fait ressemblait toujours à l’image qui était peinte, une image invisible, et cette image était présente dans chacun des différents tableaux, je pensais à cette époque, et il ne faisait pas de doute pour moi que c’étaient les tableaux qui comptaient, la peinture à l’huile sur la toile, ni plus ni moins, et rien d’autre, […]

II

Ça sent drôlement bon, dis donc, il dit

et je me mets devant la cuisinière, et je regarde le bacon qui grésille dans la vieille poêle, et la poêle est si lourde qu’Ales disait qu’elle était trop lourde pour elle, elle se plaignait constamment de la poêle, elle pensait aussi qu’elle fumait trop, c’est pourquoi nous avons acheté une nouvelle poêle qu’Ales utilisait toujours alors que moi j’utilisais toujours la vieille poôel en fonte, et celle qu’utilisait Ales est rangée dans le placard à côté de la cuisinière, et je suis à deux doigts de fondre en larmes rien qu’en pensant à l’autre poêle à frire, je l’ai rangée tout au fond du placard pour qu’elle soit difficile à voir car elle me rappelle toujours Ales, et ça me fait tellement mal chaque fois que je vois cette poêle, oui, j’ai systématiquement les larmes aux yeux, à dire vrai, mais je ne veux pas y penser, pas maintenant, je ne veux pas penser au jour où Ales et moi avons acheté une nouvelle poêle, et on n’a pas idée de se souvenir d’une chose pareille, je pense, pourtant je m’en souviens comme si c’était hier, moi qui sinon ai une mauvaise mémoire pour tout un tas de choses je me souviens bien des images qui remplissent ma tête, oui, toutes ces images dans la tête, celles-là je m’en souviens tout le temps, et dire qu’une chose pareille, ce jour où Ales et moi avons acheté une poêle à frire, ce genre de chose, eh bien, oui, je m’en souviens aussi, j’en garde un souvenir très net comme si c’était un jour mémorable.

Je est un autre

IV

et combien de fois n’ai-je eu ces pensées, je pense, parce que j’ai toujours les mêmes pensées, encore et encore, et je peins toujours le même tableau, encore et encore, oui, c ’est vrai, et pourtant chaque image est différente, et toutes les images sont liées comme par une sorte de série, oui, chaque exposition est sa propre série, même si à la fin toutes les images que j’ai peintes sont liées et constituent un seul et même tableau, je pense, car j’ai l’impression qu’il y a quelque part en moi une image qui est mon image intérieure, mon image la plus intime, que je tente encore et encore de faire apparaître dans la peinture, et plus je m’approche de cette image intérieure mieux je peins, mais bien sûr l’image intérieure n’est pas une image en elle-même, parce que l’image la plus profonde n’existe pas, elle est simplement, d’une certaine manière, mais sans exister, elle est, mais elle n’existe pas, et pourtant, d’une certaine manière, cette image qui n’est pas une image contrôle toutes les autres images et les attire plus ou moins à elle, je pense, mais peut-être que j’ai peint tout ce que je peux peindre à partir de mon image intériere ? je pense, peut-être que d’une certaine manière j’ai pénétré dans l’image la plus intime et que ce faisant je l’ai détruite ? je pense, peut-être que c’est comme voir Dieu ? je pense, et celui qui voit Dieu meurt, comme c’est écrit, je pense, et je regarde la neige qui recouvre le pare-brise et je vois Asle debout dans la salle de séjour, et je vois la Mère debout qui le regarde

[…]

et quand je tiens un des rosaires d’Ales dans ma main j’ai l’impression que nous nous parlons, que nous parlons longuement, de tout un tas de choses, puis nous nous disons au revoir, nous nous disons que nous nous reverrons bientôt, et je raccroche les rosaires à leur mur, et Ales me manque tellement, et d’abord pourquoi elle a dû mourir si jeune, me quitter si brutalement ? je pense, et j’entends Ales dire que même si je porte toujours le même rosaire au moins je varie l’écharpe que je porte, et je dis que j’ai certainement porté tous les écharpes qu’elle m’a offertes, et elle dit que c’est certain, et j’entends Ales me demander si je vais bien, et je la vois assise dans sa chaise, là, à ma droite, à côté de la table ronde devant la fenêtre, et je dis oui, oui je vais bien, mais elle me manque tellement, et j’ai peur pour Asle, je dis, et Ales dit que je ne dois pas avoir peur, soit il se rétablira soit Dieu l’emmènera, donc je ne devrais pas avoir peur pour lui, dit Ales, et bien qu’il soit impossible de dire comment elle va, maintenant qu’elle est morte, car d’une certaine manière Ales ne va pas bien du tout, oui, pourtant elle doit dire qu’elle va bien, parce qu’il n’y a pour ainsi dire pas d’autre moyen de le dire, et quand nous parlons nous devons utiliser des mots, mais les mots ne parviennent pas à dire grand-chose, ils ne disent presque rien, et moins ils en disent plus ils en disent, d’une certaine manière, dit Ales, et elle dit qu’elle est toujours près de moi, et je dis que je ne sais pas tout à fait si c’est Dieu ou si c’est elle qui est près de moi, et Ales dit que je n’ai pas besoin d’y penser, et je reste assis, et je tiens la croix tout en bas du rosaire, et je récite une prière pour qu’Ales aille bien là où elle est, que Dieu soit bon envers elle, et Ales me demande est-ce que je ne comprends donc pas qu’elle va bien ? et je réponds que si, si je le sens même en moi qu’elle va bien, je dis, et je dis que j’ai l’impression de ne plus avoir envie de peindre, et Ales dit qu’elle comprend, j’ai déjà peint beaucoup d’images, j’ai fait ma part,

V

Et je me vois debout face à l’image avec ses deux traits qui se croisent plus ou moins dans le milieu, c’est le matin, nous sommes jeudi, j’ai fait du feu dans le poêle, la Grande Pièce commence à se réchauffer, je suis allé hier à Bjørgvin livrer les tableaux à Beyer, je pense, et je me sens fatigué, et je suis debout près du chevalet, je regarde les deux traits qui se croisent plus ou moins dans le milieu, un marron et un violet, et je pense que je n’aime pas cette image, car je ne supporte pas les images qui peignent des sentiments de front, même si je suis le seul à le savoir, ce n’est pas comme ça que je peins, ce n’est pas comme ça que je veux peindre, car certes une image peut être saturée de sentiments, mais les sentiments ne doivent pas être peints sous forme de cris, de hurlements et de larmes, je pense, et je pense que c’est simplement une mauvaise peinture, mais en même tems l’image est telle qu’elle doit être, elle est terminée, il n’y a rien à ajouter, je pense, et j’entends Åsleik dire Croix de Saint-André, et il appuie sur le mot, avec cette insistance répugnante sur le mot, avec cette vantardise, et oui, c’est une Croix de Saint André, je pense, et je pense qu’il faut que je retire ce tableau, ou peut-être que je dois le repeindre en blanc ? je peux le faire, oui, et quand je l’aurai fait, quand la peinture blanche sera sèche, je pourrai commencer à peindre une nouvelle image sur la Croix de Saint-André, mains je ne veux pas le faire, je n’ai pas envie de repeindre l’image, de peindre par-dessus, je n’ai plus envie de peindre du tout, je pense, et la seule chose qui m’a traversé l’esprit quand il s’est agi de peindre cette image a été de peindre par-dessus, comme je l’ai fait avec tant et tant d’autres images, et pourtant je ne l’ai pas fait, peut-être parce que cette image a quelque chose malgré tout ? peut-être parce que c’est une bonne image même si je ne l’aime pas ? je pense, car souvent les images que j’aime le moins sont les meilleures, et celles que j’aime le plus sont les pires, c’est étrange, de qui est bon ou mauvais n’a rien à voir avec ce qu’on aime ou ce qu’on n’aime pas, mais uniquement avec ce qui est bon ou mauvais, avec ce qui relève de l’art de bonne qualité ou de l’art de mauvaise qualité, car l’art a tout à voir avec la qualité, et rien à voir avec ce qu’on aime ou ce qu’on n’aime pas, il a plutôt à voir avec le goût, la qualité existe en soi, le beau et le laid, et pour qu’une chose soit belle il faut aussi qu’elle soit laide, c’est comme ça

[…]

Un nouveau nom

VI

et je pense que je dois appeler l’Hôpital, et je me lève, je vais dans le couloir, je décroche le téléphone, je compose le numéro de l’Hôpital, et comme d’habitude, comme toujours, je dis que je suis un ami très proche d’Asle, que j’aimerais lui rendre visite car il a peut-être besoin de quelque chose ? Je dis, et je dis que je suis déjà allé chercher son chien, quelqu’un de l’Hôpital m’a accompagné pour m’ouvrir la porte de chez lui, donc peut-être que je peux y retourner pour lui rapporter quelque chose ? Je dis, et je dis que c’est moi qui ai fait admettre Asle, c’est moi qui m’occupe aussi de son chien, je dis, et je baisse les yeux, et je vois Brage assis en face de moi, il me regarde avec ses yeux de chien, et elle dit qu’elle va demander, et j’attends avec le téléphone à la main, et au bout d’un moment sa voix résonne de nouveau dans le téléphone, et elle dit que l’état d’Asle ne lui permet pas de recevoir des visiteurs, hélas, elle dit, et je demande si je peux rappeler demain, et elle répond bien spûr, et je la remercie, et elle dit il n’y a pas de quoi, et je raccroche, et je vais dans la Grande Pièce, et je regarde le chevalet vide, et je m’approche de la table ronde, j’enfile mon veston en velours noir car il fait froid dans la pièce, et pense, mais je n’ai pas la force d’allumer le poêle, je n’ai même pas allumé le radiateur électrique, je pense, et je retourne dans le couloir, j’enfile mon long manteau noir et une écharpe, et je vais chercher la couverture grise posée sur la banquete je la mets sur mes épaules, la couverture dans laquelle la Mémé s’enveloppait lorsqu’elle était allongée sur la banquette de la Vieille maison et qu’elle ne pouvait ni parler ni marcher, celle qu’elle m’a donnée quand ils l’ont étendue sur la civière pour l’emmener en ambulance, je pense, cette couverture qui m’a accompagné partout, que j’ai toujours eue avec moi où que j’aille vivre, je pense, et je m’assieds sur ma chaise devant la table ronde, je m’emmitoufle dans la couverture, et je regarde mon point de repère, je regarde les vagues, et je vois Asle debout avec le Petit dans les bras, il le berce, et Liv est allongée sur le canapé, elle pleure, elle pleure sans pouvoir s’arrêter, et Asle emmène le Petit dans la chambre, il le pose sur le lit, et il sort de sa sacoche en cuir marron son carnet de croquis et son crayon de bois, et il dessine une fille d’une vingtaine d’années étendue par terre, et il est difficile de voir si elle est vivante ou morte, et Asle dessine une fille assise sur un canapé qui pleure sans pouvoir s’arrêter, et pendant ce temps il entend Liv qui pleure sans pouvoir s’arrêter, et Asle ferme les yeux, et il regarde droit devant lui, il regarde le vide, et il voit trois nouvelles images fixées à jamais dans sa mémoire, celle d’une jeune fille étendue par terre qui semble plus morte que vivante, celle d’une fille assise sur un canapé qui pleure sans pouvoi s’arrêter, celle d’un garçon âgé à peine d’un an, allongé bras et jambes écartés sur un grand lit, qui pleure sans pouvoir s’arrêter, et Asle pense qu’il doit se déprendre de ces images en les peignant, qu’il doit les dé-peindre, mais il n’est pas sûr d’y arriver, car il a trop d’images emmagasinées dans sa mémoire, il pense, et il voit les bottes noires du Pépé sous la pluie, cette image lui revient toujours, il n’arrive pas à s’en défaire, peu importe le nombre de fois qu’il a essayé de peindre une botte noire sous la pluie il n’a jamais réussi à se défaire de cette image, il pense, et dans le fond il n’arrive à se défaire d’aucune image, jamais, il le souhaite uniquement, ou alors il s’imagine pouvoir s’en défaire, car dès qu’une image se fixe dans son esprit elle est emmagasinée dans sa mémoire, mais si une des images douloureuses se manifeste elle est moins douloureuse s’il a essayé au préalable de s’en déprendre en la peignant, comme si elle avait pâli dans l’intervalle, il pense, et il pense qu’il est fatigué, il ne croit pas avoir dormi de la nuit, ou peut-être un peu, il pense, et il pense qu’il est rentré à la maison juste à temps, heureusement, s’il était rentré plus tard Liv serait peut-être morte à l’heure qu’il est,

VII

et il a envie de se coucher dans la neige de s’endormir dans la neige car c’est trop loin à pied et il caresse encore et encore le pelage de Brage et il est tellement fatigué tellement soûl et il voit les étoiles et le Père et lui qui pêchent dans une barque les livres le Bateau le dessin la peinture la lecture, et j’ai envie d’avoir un chien et un bateau, un bateau typique de Barmen, je pense, et peindre juste peindre rien d’autre que peindre et la bière l’eau-de-vie l’ivresse agréable le visage d’Ales ses yeux sa main dans la mienne la spécialité Peinture et le meilleur d’abord rien de particulier puis Liv de mieux en mieux et Sœur Alida qui est morte et Ales et lui la spécialité Dessin le petit voisin qui s’est noyé Liv et Bård la spécialité Peinture et il n’avait même pas commencé l’école primaire et je bois et elle dit que je ne devrais pas boire tous les soirs une petite cuite tous les soirs et il tremble il tremble de tous ses membres et il est comme tétanisé par la peur les visions où des couleurs pourraient exister qui émergent en lui et il a arrêté de boire la peinture l’argent l’absence d’argent vendre des images gagner de l’argent ne pas avoir d’argent une exposition des expositions l’achat d’images les tubes de peinture à l’huile les toiles la peinture à l’huile toujours la peinture à l’huile et les toiles toujours les toiles les châssis les montants les châssis les punaises les toiles elle et celle qui vient s’asseoir à la table et ils commencent à discuter elle a vu son exposition une fois chez elle se coucher l’un contre l’autre l’embrasser là où son fils unique l’a embrassée ils se déshabillent il la pénètre ils sont étendus l’un à côté de l’autre ils discutent rentrer à la maison elle est couchée là où dort le fils rentrer à la maison elle est étendue elle est étendue par terre elle respire à peine l’ambulance le garçon qui pleure le Petit qui pleure qui hurle l’ambulance le fils et lui elle lui écrit des lettres et ils pense qu’il va prendre un chien il va avoir un chien et un bateau un bateau typique de Barmen et elle pleure sans pouvoir s’arrêter et ils se retrouvent ils s’embrassent ils mangent ensemble il boit un bateau et un chien oui il faut ça et elle vient elle s’assied les expositions les expositions la peinture à l’huile les toiles les châssis besoin d’un logement et Åsleik qui dit qu’il pourra avoir un des bateaux de Barmen qui sont dans le hanger à bateaux et les bateaux les châssis nulle part où se débarrasser des images les autres l’eau-de-vie la chaleur qu’on sent en soi la bière et Ales la chaleur qu’elle dégage le signe de croix sur mon front le saint chrême coincé pour toujours et à jamais et un autre verre de bière sa main sur ma braguette elle qui parle de quelque chose d’eau-de-vie elle rit elle vient et c’est Noël les côtes d’agneau fumées les étés ses parents la maison la maison blanche le silence la boisson la cigarette ni plus boire ni plus fumer et le Père qui ne dit rien peindre ne jamais renoncer continuer les laisser dire les yeux foncés les enfants avoir d’autres enfants la peinture les journées les soirées regarder la maison la boisson les enfants la peinture leur maison qui devrait être peinte les images les yeux du chien les tubes de peinture à l’huile les journées les soirées impossible de dormir et il est étendu là dans son lit d’hôpital et son corps est en permanence agité de tremblements de soubresauts de frissonnements et celui qui est assis à côté de lui se lève et je suis assis et je suis étendu par terre et je suis étendu dans la neige et son corps est agité de soubresauts et je regarde l’image pas d’enfants ne pas avoir d’enfants arrivent les deux traits qui se croisent dans le milieu un marron et un violet Åsleik ton ange Ales ta main et il n’y a rien à ajouter à cette image il n’y a plus rien à faire il n’y a plus qu’à s’en défaire il n’y a plus qu’à la remiser une image de qualité peut-être disparaît entièrement dans l’image si elle est transformée en quelque chose tout au fond de la peinture et je me lève et je vais vers l’image l’auréole qui se dépose autour de l’hostie les nuages les nuages gris l’étincelle qui sort du calice et je soulève l’image du chevalet et je la repose sur le chevalet ces images sur lesquelles je travaille en ce moment mais que je n’ai pas encore terminées la transsubstantiation la sacoche en cuir marron suspendue juste au dessus si ce n’est toujours en tout cas souvent et il appuie un doigt sur l’épaule de l’homme étendu dans le lit et l’homme ne bouge pas et il pose une main devant sa bouche et il ne sent aucune respiration et il tâte son pouls et il sort de la chambre, et maintenant je dois dormir, et je ne veux pas savoir quelle heure il est, je pense, mais je suis tellement inquiet, et je ne sais pas ce qu’il y a, et je vois le visage d’Ales, et c’est le ciel dans son entier, et dans le ciel il y a le visage de la Mémé, et elle est si proche si proche, et je n’arrive pas à m’endormir, et je tiens la croix en bois brun entre le pouce et l’index, et je pense que moi, ce qui est moi en moi, ça ne mourra jamais parce que ça a toujours été non-né, car ich bin ungeboren, écrit Maître Eckhart, et je vois devant mes yeux les mots […]