Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)

Néron, Tibère, Héliogabale immolaient des enfants pour se faire bander ; le maréchal de Retz, Charolais, l’oncle de Condé, commirent aussi des meurtres de débauche : le premier avoua dans son interrogatoire qu’il ne connaissait pas de volupté plus puissante que celle qu’il retirait du supplice infligé par son aumônier et lui sur de jeunes enfants des deux sexes. On en trouva sept ou huit cents d’immolés dans un de ses châteaux de Bretagne. Tout cela se conçoit, je viens de vous le prouver. Notre constitution, nos organes, le cours des liqueurs, l’énergie des esprits animaux, voilà les causes physiques qui font, dans la même heure, ou des Titus ou des Néron, des Messaline ou des Chantal; il ne faut pas plus s’enorgueillir de la vertu que se repentir du vice, pas plus accuser la nature de nous avoir fait naître bon que de nous avoir créé scélérat ; elle a agi d’après ses vues, ses plans et ses besoins : soumettons-nous. Je n’examinerai donc ici que la cruauté des femmes, toujours bien plus active chez elles que chez les hommes, par la puissante raison de l’excessive sensibilité de leurs organes.

Nous distinguons en général deux sortes de cruauté : celle qui naît de la stupidité, qui, jamais raisonnée, jamais analysée, assimile l’individu né tel à la bête féroce : celle-là ne donne aucun plaisir parce que celui qui y est enclin n’est susceptible d’aucune recherche ; les brutalités d’un tel être sont rarement dangereuses : il est toujours facile de s’en mettre à l’abri ; l’autre espèce de cruauté, fruit de l’extrême sensibilité des organes, n’est connue que des êtres extrêmement délicats, et les excès où elle les porte ne sont que des raffinements de leur délicatesse ; c’est cette délicatesse, trop promptement émoussée à cause de son excessive finesse, qui, pour se réveiller, met en usage toutes les ressources de la cruauté. Qu’il est peu de gens qui conçoivent ces différences !… Comme il en est peu qui les sentent ! Elles existent pourtant, elles sont indubitables. Or, c’est ce second genre de cruauté dont les femmes sont le plus souvent affectées. Etudiez-les bien - vous verrez si ce n’est pas l’excès de leur sensibilité qui les a conduites là; vous verrez si ce n’est pas l’extrême activité de leur imagination, la force de leur esprit qui les rend scélérates et féroces ; aussi celles-là sont-elles toutes charmantes ; aussi n’en est-il pas une seule de cette espèce qui ne fasse tourner des têtes quand elle l’entreprend ; malheureusement, la rigidité ou plutôt l’absurdité de nos mœurs laisse peu d’aliment à leur cruauté ; elles sont obligées de se cacher, de dissimuler, de couvrir leur inclination par des actes de bienfaisance ostensibles qu’elles détestent au fond de leur cœur ; ce ne peut plus être que sous le voile le plus obscur, avec les précautions les plus grandes, aidées de quelques amies sûres, qu’elles peuvent se livrer à leurs inclinations ; et, comme il en est beaucoup de ce genre, il en est par conséquent beaucoup de malheureuses.