Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

Page : http://www.dg77.net/pages/sade/ph513.htm


   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Cinquieme dialogue)

Oh ! Quelle duperie que cette ivresse qui, absorbant en nous le résultat des sens, nous met dans un tel état que nous ne voyons plus, que nous n’existons plus que par cet objet follement adoré ! Est-ce donc là vivre ? N’est-ce pas bien plutôt se priver volontairement de toutes les douceurs de la vie ? N’est-ce pas vouloir rester dans une fièvre brûlante qui nous absorbe et qui nous dévore, sans nous laisser d’autre bonheur que des jouissances métaphysiques, si ressemblantes aux effets de la folie ? Si nous devions toujours l’aimer, cet objet adorable, s’il était certain que nous ne dussions jamais l’abandonner, ce serait encore une extravagance sans doute, mais excusable au moins. Cela arrive-t-il ? A-t-on beaucoup d’exemples de ces liaisons éternelles qui ne se sont jamais démenties ? Quelques mois de jouissance, remettant bientôt l’objet à sa véritable place, nous font rougir de l’encens que nous avons brûlé sur ses autels, et nous arrivons souvent à ne pas même concevoir qu’il ait pu nous séduire à ce point.

 O filles voluptueuses, livrez-nous donc vos corps tant que vous le pourrez ! Foutez, divertissez-vous, voilà l’essentiel ; mais fuyez avec soin l’amour. Il n’y a de bon que son physique, disait le naturaliste Buffon, et ce n’était pas sur cela seul qu’il raisonnait en bon philosophe. je le répète, amusez-vous ; mais n’aimez point ; ne vous embarrassez pas davantage de l’être : ce n’est pas de s’exténuer en lamentations, en soupirs, en œillades, en billets doux qu’il faut ; c’est de foutre, c’est de multiplier et de changer souvent ses fouteurs, c’est de s’opposer fortement surtout à ce qu’un seul veuille vous captiver, parce que le but de ce constant amour serait, en vous liant à lui, de vous empêcher de vous livrer à un autre, égoîsme cruel, qui deviendrait bientôt fatal à vos plaisirs. Les femmes ne sont pas faites pour un seul homme : c’est pour tous que les a créées la nature. N’écoutant que cette voix sacrée, qu’elles se livrent indifféremment à tous ceux qui veulent d’elles. Toujours putains, jamais amantes, fuyant l’amour, adorant le plaisir, ce ne seront plus que des roses qu’elles trouveront dans la carrière de la vie, ce ne seront plus que des fleurs qu’elles nous prodigueront ! Demandez, Eugénie, demandez à la femme charmante qui veut bien se charger de votre éducation le cas qu’il faut faire d’un homme quand on en a joui. (Assez bas pour n’être pas entendu d’Augustin.) Demandez-lui si elle ferait un pas pour conserver cet Augustin qui fait aujourd’hui ses délices. Dans l’hypothèse où l’on voudrait le lui enlever, elle en prendrait un autre, ne penserait plus à celui-ci, et, bientôt lasse du nouveau, elle l’immolerait elle-même dans deux mois, si de nouvelles jouissances devaient naître de ce sacrifice.

S-A : Que ma chère Eugénie soit bien sûre que Dolmancé lui explique ici mon cœur, ainsi que celui de toutes les femmes, comme si nous lui en ouvrions les replis.