D.A.F. de Sade (1740-1814) Français, encore un effort… (suite)
La seconde raison pour laquelle on doit anéantir la peine de mort, c’est qu’elle n’a jamais réprimé le crime, puisqu’on le commet chaque jour aux pieds de l’échafaud. On doit supprimer cette peine, en un mot, parce qu’il n’y a point de plus mauvais calcul que celui de faire mourir un homme pour en avoir tué un autre, puisqu’il résulte évidemment de ce procédé qu’au lieu d’un homme de moins, en voilà tout d’un coup deux, et qu’il n’y a que des bourreaux ou des imbéciles auxquels une telle arithmétique puisse être familière.
Quoi qu’il en soit enfin, les forfaits que nous pouvons commettre envers nos frères se réduisent à quatre principaux : la calomnie, le vol, les délits qui, causés par l’impureté, peuvent atteindre désagréablement les autres, et le meurtre. Toutes ces actions, considérées comme capitales dans un gouvernement monarchique, sont-elles aussi graves dans un Etat républicain ? C’est ce que nous allons analyser avec le flambeau de la philosophie, car c’est à sa seule lumière qu’un tel examen doit s’entreprendre. Qu’on ne me taxe point d’être un novateur dangereux ; qu’on ne dise pas qu’il y a du risque à émousser, comme le feront peut-être ces écrits, le remords dans l’âme des malfaiteurs ; qu’il y a le plus grand mal à augmenter par la douceur de ma morale le penchant que ces mêmes malfaiteurs ont aux crimes : j’atteste ici formellement n’avoir aucune de ces vues perverses ; j’expose les idées qui depuis l’âge de raison se sont identifiées avec moi et au jet desquelles l’infâme despotisme des tyrans s’était opposé tant de siècles. Tant pis pour ceux que ces grandes idées corrompraient, tant pis pour ceux qui ne savent saisir que le mal dans des opinions philosophiques, susceptibles de se corrompre à tout ! Qui sait s’ils ne se gangrèneraient peut-être pas aux lectures de Sénèque et de Charron ? Ce n’est point à eux que je parle : je ne m’adresse qu’à des gens capables de m’entendre, et ceux-là me liront sans danger.
J’avoue avec la plus extrême franchise que je n’ai jamais cru que la calomnie fût un mal, et surtout dans un gouvernement comme le nôtre, où tous les hommes, plus liés, plus rapprochés, ont évidemment un plus grand intérêt à se bien connaître. De deux choses l’une : ou la calomnie porte sur un homme véritablement pervers, ou elle tombe sur un être vertueux. On conviendra que dans le premier cas il devient à peu près indifférent que l’on dise un peu plus de mal d’un homme connu pour en faire beaucoup ; peut-être même alors le mal qui n’existe pas éclairera-t-il sur celui qui est, et voilà le malfaiteur mieux connu.