Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

D.A.F. de Sade (1740-1814) Français, encore un effort… (suite)

Je vais aller plus loin, et quelque contraires que soient mes idées à nos coutumes actuelles, comme mon objet est de prouver que nous devons nous presser de changer ces coutumes si nous voulons conserver le gouvernement adopté, je vais essayer de vous convaincre que la prostitution des femmes connues sous le nom d’honnêtes n’est pas plus dangereuse que celle des hommes, et que non seulement nous devons les associer aux luxures exercées dans les maisons que j’établis, mais que nous devons même en ériger pour elles, où leurs caprices et les besoins de leur tempérament, bien autrement ardent que le nôtre, puissent de même se satisfaire avec tous les sexes.

 De quel droit prétendez-vous d’abord que les femmes doivent être exceptées de l’aveugle soumission que la nature leur prescrit aux caprices des hommes ? Et ensuite par quel autre droit prétendez-vous les asservir à une continence impossible à leur physique et absolument inutile à leur honneur ?

 Je vais traiter séparément l’une et l’autre de ces questions.

 Il est certain que, dans l’état de nature, les femmes naissent vulgivagues, c’est-à-dire jouissant des avantages des autres animaux femelles et appartenant, comme elles et sans aucune exception, à tous les mâles ; telles furent, sans aucun doute, et les premières lois de la nature et les seules institutions de premiers rassemblements que les hommes firent. L’intérêt, l’égoîsme et l’amour dégradèrent ces premières vues si simples et si naturelles ; on crut s’enrichir en prenant une femme, et avec elle le bien de sa famille ; voilà les deux premiers sentiments que je viens d’indiquer satisfaits ; plus souvent encore on enleva cette femme, et on s’y attacha ; voilà le second motif en action et, dans tous les cas, de l’injustice.

 Jamais un acte de possession ne peut être exercé sur un être libre ; il est aussi injuste de posséder exclusivement une femme qu’il l’est de posséder des esclaves ; tous les hommes sont nés libres tous sont égaux en droit : ne perdons jamais de vue ces principes ; il ne peut donc être jamais donné, d’après cela, de droit légitime à un sexe de s’emparer exclusivement de l’autre, et jamais l’un de ces sexes ou l’une de ces classes ne peut posséder l’autre arbitrairement. Une femme même, dans la pureté des lois de la nature, ne peut alléguer, pour motif du refus qu’elle fait à celui qui la désire, l’amour qu’elle a pour un autre, parce que ce motif en devient un d’exclusion, et qu’aucun homme ne peut être exclu de la possession d’une femme, du moment qu’il est clair qu’elle appartient décidément à tous les hommes. L’acte de possession ne peut être exercé que sur un immeuble ou sur un animal ; jamais il ne peut l’être sur un individu qui nous ressemble, et tous les liens qui peuvent enchaîner une femme à un homme, de telle espèce que vous puissiez les supposer, sont aussi injustes que chimériques.