Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)

D : Il faut avoir perdu le sens pour y croire. Fruit de la frayeur des uns et de la faiblesse des autres, cet abominable fantôme, Eugénie, est inutile au système de la terre ; il y nuirait infailliblement, puisque ses volontés, qui devraient être justes, ne pourraient jamais s’allier avec les injustices essentielles aux lois de la nature ; qu’il devrait constamment vouloir le bien, et que la nature ne doit le désirer qu’en compensation du mal qui sert à ses lois ; qu’il faudrait qu’il agît toujours, et que la nature, dont cette action perpétuelle est une des lois, ne pourrait se trouver en concurrence et en opposition perpétuelle avec lui. Mais, dira-t-on à cela, Dieu et la nature sont la même chose. Ne serait-ce pas une absurdité? La chose créée ne peut être égale à l’être créant : est-il possible que la montre soit l’horloger ? Eh bien, continuera-t-on, la nature n’est rien, c’est Dieu qui est tout. Autre bêtise ! Il y a nécessairement deux choses dans l’univers : l’agent créateur et l’individu créé. Or quel est cet agent créateur ? Voilà la seule difficulté qu’il faut résoudre ; c’est la seule question à laquelle il faille répondre.

Si la matière agit, se meut, par des combinaisons qui nous sont inconnues, si le mouvement est inhérent à la matière, si elle seule enfin peut, en raison de son énergie, créer, produire, conserver, maintenir, balancer dans les plaines immenses de l’espace tous les globes dont la vue nous surprend et dont la marche uniforme, invariable, nous remplit de respect et d’admiration, que sera le besoin de chercher alors un agent étranger à tout cela, puisque cette faculté active se trouve essentiellement dans la nature elle-même, qui n’est autre chose que la matière en action ? Votre chimère déifique éclaircira-t-elle quelque chose ? Je défie qu’on puisse me le prouver. A supposer que je me trompe sur les facultés internes de la matière, je n’ai du moins devant moi qu’une difficulté. Que faites-vous en m’offrant votre Dieu? Vous m’en donnez une de plus. Et comment voulez-vous que j’admette, pour cause que je ne comprends pas, quelque chose que je comprends encore moins ? Sera-ce au moyen de dogmes de la religion chrétienne que j’examinerai… que je me représenterai votre effroyable Dieu? Voyons un peu comme elle me le peint…