D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)
Que vois-je dans le Dieu de ce culte infâme, si ce n’est pas un être inconséquent et barbare, créant aujourd’hui un monde, de la construction duquel il s’en repent demain ? Qu’y vois-je, qu’un être faible qui ne peut jamais faire prendre à l’homme le pli qu’il voudrait ? Cette créature, quoique émanée de lui, le domine ; elle peut l’offenser et mériter par là des supplices éternels ! Quel être faible que ce Dieu-là ! Comment ! Il a pu créer tout ce que nous voyons, et il lui est impossible de former un homme à sa guise ? Mais, me répondrez-vous à cela, s’il l’eût créé tel, l’homme n’eût pas eu de mérite. Quelle platitude ! Et quelle nécessité y a-t-il que l’homme mérite de son Dieu? En le formant tout à fait bon, il n’aurait jamais pu faire le mal, et de ce moment seul l’ouvrage était digne d’un Dieu. C’est tenter l’homme que de lui laisser un choix. Or Dieu, par sa prescience infinie, savait bien ce qui en résulterait. De ce moment, c’est donc à plaisir qu’il perd la créature que lui-même a formée. Quel horrible Dieu que ce Dieu-là ! quel monstre ! Quel scélérat plus digne de notre haine et notre implacable vengeance ! Cependant, peu content d’une aussi sublime besogne, il noie l’homme pour le convertir ; il le brûle, il le maudit. Rien de tout cela ne le change. Un être plus puissant que ce vilain Dieu, le Diable, conservant toujours son empire, pouvant toujours braver son auteur, parvient sans cesse, par ses séductions, à débaucher le troupeau que s’était réservé l’éternel. Rien ne peut vaincre l’énergie de ce démon sur nous. Qu’imagine alors, selon vous, l’horrible Dieu que vous prêchez ? Il n’a qu’un fils, un fils unique, qu’il possède de je ne sais quel commerce ; car, comme l’homme fout, il a voulu que son Dieu foutît également ; il détache du ciel cette respectable portion de lui-même. On s’imagine peut-être que c’est sur des rayons célestes, au milieu du cortège des anges, à la vue de l’univers entier, que cette sublime créature va paraître… Pas un mot : c’est dans le sein d’une putain juive, c’est au milieu d’une étable à cochons, que s’annonce le Dieu qui vient sauver la terre ! Voilà la digne extraction qu’on lui prête ! Mais son honorable mission nous dédommagera-t-elle ? Suivons un instant le personnage. Que dit-il ? Que fait-il ? Quelle sublime mission recevons-nous de lui ? Quel mystère va-t-il révéler ? Quel dogme va-t-il nous prescrire ? Dans quels actes enfin sa grandeur va-t-elle éclater ?