Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)

Un des premiers vices de ce gouvernement consiste dans une population beaucoup trop nombreuse, et il s’en faut bien que de tels superflus soient des richesses pour l’Etat. Ces êtres surnuméraires sont comme des branches parasites qui, ne vivant qu’aux dépens du tronc, finissent toujours par l’exténuer. Souvenez-vous que toutes les fois que, dans un gouvernement quelconque, la population sera supérieure aux moyens de l’existence, ce gouvernement languira. Examinez bien la France, vous verrez que c’est ce qu’elle vous offre. Qu’en résulte-t-il ? On le voit. Le Chinois, plus sage que nous, se garde bien de se laisser dominer ainsi par une population trop abondante. Point d’asile pour les fruits honteux de sa débauche : on abandonne ces affreux résultats comme les suites d’une digestion. Point de maisons pour la pauvreté: on ne la connaît point en Chine. Là, tout le monde travaille : là, tout le monde est heureux ; rien n’altère l’énergie du pauvre, et chacun y peut dire, comme Néron : Quid est pauper ?

Eu, à Mme de Saint-Ange : Chère amie, mon père pense absolument comme Monsieur : de ses jours il ne fit une bonne œuvre. Il ne cesse de gronder ma mère des sommes qu’elle dépense à de telles pratiques. Elle était de la Société maternelle, de la Société philanthropique :je ne sais de quelle association elle n’était point ; il l’a contrainte à quitter tout cela, en l’assurant qu’il la réduirait à la plus modique pension si elle s’avisait de retomber encore dans de pareilles sottises.

S-A : Il n’y a rien de plus ridicule et en même temps de plus dangereux, Eugénie, que toutes ces associations : c’est à elles, aux écoles gratuites et aux maisons de charité que nous devons le bouleversement horrible dans lequel nous voici maintenant. Ne fais jamais d’aumône, ma chère, je t’en supplie.

Eu : Ne crains rien ; il y a longtemps que mon père a exigé de moi la même chose, et la bienfaisance me tente trop peu pour enfreindre, sur cela, ses ordres… les mouvements de mon cœur et tes désirs.

D : Ne divisons pas cette portion de sensibilité que nous avons reçue de la nature : c’est l’anéantir que de l’étendre. Que me font à moi les maux des autres ! N’ai-je donc point assez des miens, sans aller m’affliger de ceux qui me sont étrangers ! Que le foyer de cette sensibilité n’allume jamais que nos plaisirs ! Soyons sensibles à tout ce qui les flatte, absolument inflexibles sur tout le reste. Il résulte de cet état de l’âme une sorte de cruauté, qui n’est quelquefois pas sans délices. On ne peut pas toujours faire le mal. Privés du plaisir qu’il donne, équivalons au moins cette sensation par la méchanceté piquante de ne jamais faire le bien.

Eu : Ah ! Dieu ! Comme vos leçons m’enflamment ! Je crois qu’on me tuerait plutôt maintenant que de me faire faire une bonne action!

S-A : Et s’il s’en présentait une mauvaise, serais-tu de même prête à la commettre ?