Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)

Cette prétendue lésion n’est donc qu’une fable, dont l’existence est impossible. De deux choses l’une : ou mon mari est un brutal, un jaloux, ou c’est un home délicat ; dans la première hypothèse, ce que je puis faire de mieux est de me venger de sa conduite ; dans la seconde, je ne saurai l’affliger ; puisque je goûte des plaisirs, il en sera heureux s’il est honnête : il n’y a point d’homme délicat qui ne jouisse au spectacle du bonheur de la personne qu’il adore. - Mais si vous l’aimiez, voudriez-vous qu’il en fît autant ? - Ah ! Malheur à la femme qui s’avisera d’être jalouse de son mari ! Qu’elle se contente de ce qu’il lui donne, si elle l’aime ; mais qu’elle n’essaie pas de le contraindre ; non seulement elle n’y réussirait pas, mais elle s’en ferait bientôt détester. Si je suis raisonnable, je ne m’affligerai donc jamais des débauches de mon mari. Qu’il en fasse de même avec moi, et la paix règnera dans le ménage.

Résumons : Quels que soient les effets de l’adultère, dût-il même introduire dans la maison des enfants qui n’appartinssent pas à l’époux, dès qu’ils sont à la femme ils ont des droits certains à une partie de la dot de cette femme ; l’époux, s’il est instruit, doit les regarder comme des enfants que sa femme aurait eus d’un premier mariage ; s’il ne sait rien, il ne saurait être malheureux, car on ne saurait l’être d’un mal qu’on ignore ; si l’adultère n’a point de suite, et qu’il soit inconnu du mari, aucun jurisconsulte ne saurait prouver, en ce cas, qu’il pourrait être un crime ; l’adultère n’est plus de ce moment qu’une action parfaitement indifférente pour le mari, qui ne le sait pas, parfaitement bonne pour la femme, qu’elle délecte ; si le mari découvre l’adultère, ce n’est plus l’adultère qui est un mal alors, car il ne l’était pas tout à l’heure, et il ne saurait avoir changé de nature ; il n’y a plus d’autre mal que la découverte qu’en a faite le mari ; or, ce tort-là n’appartient qu’à lui seul : il ne saurait regarder la femme.

Ceux qui jadis ont puni l’adultère étaient donc des bourreaux, des tyrans, des jaloux, qui, rapportant tout à eux, s’imaginaient injustement qu’il suffisait de les offenser pour être criminelle, comme si une injure personnelle devait jamais se considérer comme un crime, et comme si l’on pouvait justement appeler crime une action qui, loin d’outrager la nature et la société, sert évidemment l’une et l’autre. Il est cependant des cas où l’adultère, facile à prouver, devient plus embarrassant pour la femme, sans être pour cela plus criminel; c’est, par exemple, celui où l’époux se trouve dans l’impuissance ou sujet à des goûts contraires à la population. Comme elle jouit, et que son mari ne jouit jamais, sans doute alors ses déportement deviennent plus ostensibles ; mais doit-elle se gêner pour cela?