Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)

D : Ces excès, parfaitement simples et très connus de moi, sans doute, ne doivent pourtant jamais s’exécuter entre nous : “Jamais entre eux ne se mangent les loups”, dit le proverbe, et, si trivial qu’il soit, il est juste. Ne redoutez jamais rien de moi, mes amies : je vous ferai peut-être faire beaucoup de mal, mais je ne vous en ferai jamais.

Eu : Oh ! Non, non, ma chère, j’ose en répondre : jamais Dolmancé n’abusera des droits que nous lui donnons sur nous ; je lui crois la probité des roués : c’est la meilleure ; mais ramenons notre instituteur à ses principes et revenons, je vous supplie, au grand dessein qui nous enflammait, avant que nous ne nous calmassions.

S-A : Quoi ! Friponne, tu y penses encore ! J’avais cru que ce n’était l’histoire que de l’effervescence de ta tête.

Eu : C’est le mouvement le plus certain de mon cœur, et je ne serai contente qu’après la consommation de ce crime.

S-A : Oh ! Bon, bon, fais-lui grâce : songe qu’elle est ta mère.

Eu : Le beau titre !

D : Elle a raison ; cette mère a-t-elle pensé à Eugénie en la mettant au monde ? La coquine se laissait foutre parce qu’elle y trouvait du plaisir, mais elle était bien loin d’avoir cette fille en vue. Qu’elle agisse comme elle voudra à cet égard ; laissons-lui la liberté tout entière et contentons-nous de lui certifier qu’à quelque excès qu’elle arrive en ce genre, elle ne se rendra jamais coupable d’aucun mal.

Eu : Je l’abhorre, je la déteste, mille raisons légitiment ma haine ; il faut que j’aie sa vie, à quelque prix que ce puisse être !

D : Eh bien, puisque tes résolutions sont inébranlables, tu seras satisfaite, Eugénie, je te le jure ; mais permets-moi quelques conseils qui deviennent, avant que d’agir, de la première nécessité pour toi. Que jamais ton secret ne t’échappe, ma chère, et surtout agis seule : rien n’est plus dangereux que les complices ; méfions-nous toujours de ceux mêmes que nous croyons nous être le plus attachés : Il faut, disait Machiavel, ou n’avoir jamais de complices, ou s’en défaire dès qu’ils nous ont servi. Ce n’est pas tout : la feinte est indispensable, Eugénie, aux projets que tu formes. Rapproche-toi plus que jamais de ta victime avant que de l’immoler ; aie l’air de la plaindre ou de la consoler ; cajole-la, partage ses peines, jure-lui que tu l’adores ; fais plus encore, persuade-le-lui : la fausseté, dans de tels cas, ne saurait être portée trop loin. Néron caressait Agrippine sur la barque même qui devait l’engloutir : imite cet exemple, use de toute la fourberie, de toutes les impostures que pourra te suggérer ton esprit. Si le mensonge est toujours nécessaire aux femmes, c’est surtout lorsqu’elles veulent tromper qu’il leur devient plus indispensable.