Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)

En partant de ce point, il ne s’agit pas de savoir si nos procédés plairont ou déplairont à l’objet qui nous sert, il s’agit seulement d’ébranler la masse de nos nerfs par le choc le plus violent possible ; or, il n’est pas douteux que la douleur affectant bien plus vivement que le plaisir, les chocs résultatifs sur nous de cette sensation produite sur les autres seront essentiellement d’une vibration plus vigoureuse, retentiront plus énergiquement en nous, mettront dans une circulation plus violente les esprits animaux qui, se déterminant sur les basses régions par le mouvement de rétrogradation qui leur est essentiel alors, embraseront aussitôt les organes de la volupté et les disposeront au plaisir. Les effets du plaisir sont toujours trompeurs dans les femmes ; il est d’ailleurs très difficile qu’un homme laid ou vieux les produise. Y parviennent-ils ? Ils sont faibles, et les chocs beaucoup moins nerveux. Il faut donc préférer la douleur, dont les effets ne peuvent tromper et dont les vibrations sont plus actives. Mais, objecte-t-on aux hommes entichés de cette manie, cette douleur afflige le prochain ; est-il charitable de faire du mal aux autres pour se délecter soi-même ? Les coquins vous répondent à cela qu’accoutumés, dans l’acte du plaisir, à se compter pour tout et les autres pour rien, ils sont persuadés qu’il est tout simple, d’après les impulsions de la nature, de préférer ce qu’ils sentent à ce qu’ils ne sentent point. Que nous font, osent-ils dire, les douleurs occasionnées sur le prochain ? Les ressentons-nous ? Non ; au contraire, nous venons de démontrer que de leur production résulte une sensation délicieuse pour nous. A quel titre ménagerions-nous donc un individu qui ne nous touche en rien ? A quel titre lui éviterions-nous une douleur qui ne nous coûtera jamais une larme, quand il est certain que de cette douleur va naître un très grand plaisir pour nous ? Avons-nous jamais éprouvé une seule impulsion de la nature qui nous conseille de préférer les autres à nous, et chacun n’est-il pas pour soi dans le monde ? Vous nous parlez d’une voix chimérique de cette nature, qui nous dit de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’il nous fût fait ; mais cet absurde conseil ne nous est jamais venu que des hommes, et d’hommes faibles. L’homme puissant ne s’avisera jamais de parler un tel langage. Ce furent les premiers chrétiens qui, journellement persécutés pour leur imbécile système, criaient à qui voulait l’entendre : “Ne nous brûlez pas, ne nous écorchez pas ! La nature dit qu’il ne faut pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’il nous fût fait.” Imbéciles ! Comment la nature, qui nous conseille toujours de nous délecter, qui n’imprime jamais en nous d’autres mouvements, d’autres inspirations, pourrait-elle, le moment d’après, par une inconséquence sans exemple, nous assurer qu’il ne faut pourtant pas nous aviser de nous délecter si cela peut faire de la peine aux autres ?