Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

Page : http://www.dg77.net/pages/sade/ph505.htm


   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Cinquieme dialogue)

Si la nature ne faisait que créer, et qu’elle ne détruisît jamais, je pourrais croire avec ces fastidieux sophistes que le plus sublime de tous les actes serait de travailler sans cesse à celui qui produit, et je leur accorderais, à la suite de cela, que le refus de produire devrait nécessairement être un crime. Le plus léger coup d’œil sur les opérations de la nature ne prouve-t-il pas que les destructions sont aussi nécessaires à ses plans que les créations ? Que l’une et l’autre de ces opérations se lient et s’enchaînent même *si intimement qu’il devient impossible que l’une puisse agir sans l’autre ? Que rien ne naîtrait, rien ne se régénérerait sans des destructions ? La destruction est donc une des lois de la nature comme la création.

Ce principe admis, comment puis-je offenser cette nature en refusant de créer ? Ce qui, à supposer un mal à cette action, en deviendrait un infiniment moins grand, sans doute, que celui de détruire, qui pourtant se trouve dans ses lois, ainsi que je viens de le prouver. Si, d’un côté, j’admets donc le penchant que la nature me donne à cette perte, que j’examine, de l’autre, qu’il lui est nécessaire et que je ne fais qu’entrer dans ses vues en m’y livrant, où sera le crime alors, je vous le demande ? Mais, vous objectent encore les sots et les populateurs, ce qui est synonyme, ce sperme productif ne peut être placé dans vos reins à aucun autre usage que pour celui de la propagation : l’en détourner est une offense. Je viens d’abord de prouver que non, puisque cette perte n’équivaudrait même pas à une destruction et que la destruction, bien plus importante que la perte, ne serait pas elle-même un crime. Secondement, il est faux que la nature veuille que cette liqueur spermatique soit absolument et entièrement destinée à produire ; si cela était, non seulement elle ne permettrait pas que cet écoulement eût lieu dans tout autre cas, comme nous le prouve l’expérience, puisque nous la perdons, et quand nous voulons et où nous voulons, et ensuite elle s’opposerait à ce que ces pertes eussent lieu sans coît, comme il arrive, et dans nos rêves et dans nos souvenirs ; avare d’une liqueur aussi précieuse, ce ne serait jamais que dans le vase de la propagation qu’elle en permettrait l’écoulement ; elle ne voudrait assurément pas que cette volupté dont elle nous couronne alors pût être ressentie quand nous détournerions l’hommage ; car il ne serait pas raisonnable de supposer qu’elle consentît à nous donner du plaisir même au moment où nous l’accablerions d’outrages. Allons plus loin ; si les femmes n’étaient nées que pour produire, ce qui serait assurément si cette production était si chère à la nature, arriverait-il que, sur la plus longue vie d’une femme, il ne se trouve cependant que sept ans, toute déduction faite, où elle soit en état de donner la vie à son semblable ?