Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Cinquieme dialogue)

S-A : Il ne faut à l’avenir s’occuper que d’elle seule, mon frère ; considère-la, c’est ta proie ; examine ce charmant pucelage, il va bientôt t’appartenir.

Eu : Oh ! Non pas par-devant : cela me ferait trop de mal ; par-derrière tant que vous voudrez, comme Dolmancé me l’a fait tout à l’heure.

S-A : La naîve et délicieuse fille ! Elle vous demande précisément ce qu’on a tant de peine à obtenir des autres !

Eu : Oh ! Ce n’est pas sans un peu de remords ; car vous ne m’avez point rassurée sur le crime énorme que j’ai toujours entendu dire qu’il y avait à cela, et surtout à le faire d’homme à homme, comme cela vient d’arriver à Dolmancé et à Augustin. Voyons, Voyons, monsieur, comment votre philosophie explique cette sorte de délit. Il est affreux, n’est-ce pas ?

D : Commencez à partir d’un point, Eugénie, c’est que rien n’est affreux en libertinage, parce que tout ce que le libertinage inspire l’est également par la nature ; les actions les plus extraordinaires, les plus bizarres, celles qui paraissent choquer le plus évidemment toutes les lois, toutes les institutions humaines (car, pour le ciel, je n’en parle pas), eh bien, Eugénie, celles-là même ne sont point affreuses, et il n’en est pas une d’elles qui ne puisse se démontrer dans la nature ; il est certain que celle dont vous me parlez, belle Eugénie, est la même relativement à laquelle on trouve une fable si singulière dans le plat roman de l’Ecriture sainte, fastidieuse compilation d’un juif ignorant, pendant la captivité de Babylone ; mais il est faux, hors de toute vraisemblance, que ce soit en punition de ces écarts que ces villes, ou plutôt ces bourgades, aient péri par le feu ; placées sur le cratère de quelques anciens volcans, Sodome, Gomorrhe périrent comme ces villes de l’Italie qu’engloutirent les laves du Vésuve ; voilà tout le miracle, et ce fut pourtant de cet événement tout simple que l’on partit pour inventer barbarement le supplice du feu contre les malheureux humains qui se livraient dans une partie de l’Europe à cette naturelle fantaisie.

Eu : Oh ! Naturelle !…

D : Oui, naturelle, je le soutiens ; la nature n’a pas deux voix, dont l’une laisse journellement le métier de condamner ce que l’autre inspire, et il est bien certain que ce n’est que par son organe que les hommes entichés de cette manie reçoivent les impressions qui les y portent. Ceux qui veulent proscrire ou condamner ce goût prétendent qu’il nuit à la population. Qu’ils sont plats, ces imbéciles qui n’ont jamais que cette idée de population dans la tête, et qui ne voient jamais que du crime à tout ce qui s’éloigne de là ! Est-il donc démontré que la nature ait de cette population un aussi grand besoin qu’ils voudraient nous le faire croire ? Est-il bien certain qu’on l’outrage chaque fois qu’on s’écarte de cette stupide propagation ? Scrutons un instant, pour nous en convaincre, et sa marche et ses lois.