Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

D.A.F. de Sade (1740-1814) Français, encore un effort… (suite)

 Sera-ce dans le théisme pur que nous trouverons plus de motifs de grandeur et d’élévation ? Sera-ce l’adoption d’une chimère qui, donnant à notre âme ce degré d’énergie essentiel aux vertus républicaines, portera l’homme à les chérir ou à les pratiquer ? Ne l’imaginons pas ; on est revenu de ce fantôme, et l’athéisme est à présent le seul système de tous les gens qui savent raisonner. A mesure que l’on s’est éclairé, on a senti que, le mouvement étant inhérent à la matière, l’agent nécessaire à imprimer ce mouvement devenait un être illusoire et que, tout ce qui existait devant être en mouvement par essence, le moteur était inutile ; on a senti que ce dieu chimérique, prudemment inventé par les premiers législateurs, n’était entre leurs mains qu’un moyen de plus pour nous enchaîner, et que, se réservant le droit de faire parler seul ce fantôme, ils sauraient bien ne lui faire dire que ce qui viendrait à l’appui des lois ridicules par lesquelles ils prétendaient nous asservir. Lycurgue, Numa, Moîse, Jésus-Christ, Mahomet, tous ces grands fripons, tous ces grands despotes de nos idées, surent associer les divinités qu’ils fabriquaient à leur ambition démesurée, et, certains de captiver les peuples avec la sanction de ces dieux, ils avaient, comme on sait, toujours soin ou de ne les interroger qu’à-propos, ou de ne leur faire répondre que ce qu’ils croyaient pouvoir les servir.

 Tenons donc aujourd’hui dans le même mépris et le dieu vain que des imposteurs ont prêché, et toutes les subtilités religieuses qui découlent de sa ridicule adoption ; ce n’est plus avec ce hochet qu’on peut amuser des hommes libres. Que l’extinction totale des cultes entre donc dans les principes que nous propageons dans l’Europe entière. Ne nous contentons pas de briser les sceptres ; pulvérisons à jamais les idoles : il n’y eut jamais qu’un pas de la superstition au royalisme. Il faut bien que cela soit, sans doute, puisqu’un des premiers articles du sacre des rois était toujours le maintien de la religion dominante, comme une des bases politiques qui devaient le mieux soutenir leur trône. Mais dès qu’il est abattu, ce trône, dès qu’il l’est heureusement pour jamais, ne redoutons point d’extirper de même ce qui en formait les appuis.

 Oui, citoyens, la religion est incohérente au système de la liberté ; vous l’avez senti. Jamais l’homme libre ne se courbera près des dieux du christianisme ; jamais ses dogmes, jamais ses rites, ses mystères ou sa morale ne conviendront à un républicain. Encore un effort ; puisque vous travaillez à détruire tous les préjugés, n’en laissez subsister aucun, s’il n’en faut qu’un seul pour les ramener tous. Combien devons-nous être plus certains de leur retour si celui que vous laissez vivre est positivement le berceau de tous les autres ! Cessons de croire que la religion puisse être utile à l’homme. Ayons de bonnes lois, et nous saurons nous passer de religion. Mais il en faut une au peuple, assure-t-on ; elle l’amuse, elle le contient. A la bonne heure !