D.A.F. de Sade (1740-1814) Français, encore un effort… (suite)
L’insurrection, pensaient ces sages législateurs, n’est point un état moral ; elle doit être pourtant l’état permanent d’une république ; il serait donc aussi absurde que dangereux d’exiger que ceux qui doivent maintenir le perpétuel ébranlement immoral de la machine fussent eux-mêmes des êtres très moraux, parce que l’état moral d’un homme est un état de paix et de tranquillité, au lieu que son état immoral est un état de mouvement perpétuel qui le rapproche de l’insurrection nécessaire, dans laquelle il faut que le républicain tienne toujours le gouvernement dont il est membre.
Détaillons maintenant et commençons par analyser la pudeur, ce mouvement pusillanime, contradictoire aux affections impures. S’il était dans les intentions de la nature que l’homme fût pudique, assurément elle ne l’aurait pas fait naître nu ; une infinité de peuples, moins dégradés que nous par la civilisation, vont nus et n’en éprouvent aucune honte ; il ne faut pas douter que l’usage de se vêtir n’ait eu pour unique base et l’inclémence de l’air et la coquetterie des femmes ; elles sentirent qu’elles perdraient bientôt tous les effets du désir si elles les prévenaient, au lieu de les laisser naître ; elles conçurent que, la nature d’ailleurs ne les ayant pas créées sans défauts, elles s’assureraient bien mieux tous les moyens de plaire en déguisant ces défauts par des parures ; ainsi la pudeur, loin d’être une vertu, ne fut donc plus qu’un des premiers effets de la corruption, qu’un des premiers moyens de la coquetterie des femmes. Lycurgue et Solon, bien pénétrés que les résultats de l’impudeur tiennent le citoyen dans l’état immoral essentiel aux lois du gouvernement républicain, obligèrent les jeunes filles à se montrer nues au théâtre. Rome imita bientôt cet exemple : on dansait nu aux jeux de Flore ; la plus grande partie des mystères paîens se célébraient ainsi ; la nudité passa même pour vertu chez quelques peuples. Quoi qu’il en soit, de l’impudeur naissent des penchants luxurieux ; ce qui résulte de ces penchants compose les prétendus crimes que nous analysons et dont la prostitution est le premier effet.Maintenant que nous sommes revenus sur tout cela de la foule d’erreurs religieuses qui nous captivaient et que, plus rapprochés de la nature par la quantité de préjugés que nous venons d’anéantir, nous n’écoutons que sa voix, bien assurés que, s’il y avait du crime à quelque chose, ce serait plutôt à résister aux penchants qu’elle nous inspire qu’à les combattre, persuadés que, la luxure étant une suite de ces penchants, il s’agit bien moins d’éteindre cette passion dans nous que de régler les moyens d’y satisfaire en paix.