Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

D.A.F. de Sade (1740-1814) Français, encore un effort… (suite)

Tous les philosophes savent bien que ce n’est qu’aux imposteurs chrétiens que nous devons de l’avoir érigée en crime. Les prêtres avaient bien leur motif, en nous interdisant la luxure : cette recommandation, en leur réservant la connaissance et l’absolution de ces péchés secrets, leur donnait un incroyable empire sur les femmes et leur ouvrait une carrière de lubricité dont l’étendue n’avait point de bornes. On sait comment ils en profitèrent, et comme ils en abuseraient encore si leur crédit n’était pas perdu sans ressource.

 L’inceste est-il plus dangereux ? Non, sans doute ; il étend les liens des familles et rend par conséquent plus actif l’amour des citoyens pour la patrie ; il nous est dicté par les premières lois de la nature, nous l’éprouvons, et la jouissance des objets qui nous appartiennent nous sembla toujours plus délicieuse. Les premières institutions favorisent l’inceste ; on le trouve dans l’origine des sociétés ; il est consacré dans toutes les religions ; toutes les lois l’ont favorisé. Si nous parcourons l’univers, nous trouverons l’inceste établi partout. Les nègres de la Côte du Poivre et de Rio-Gabon prostituent leurs femmes à leurs propres enfants ; l’aîné des fils, au royaume de Juda, doit épouser la femme de son père ; les peuples du Chili couchent indifféremment avec leurs sœurs, leurs filles, et épousent souvent à la fois la mère et la fille. J’ose assurer, en un mot, que l’inceste devrait être la loi de tout gouvernement dont la fraternité fait la base. Comment des hommes raisonnables purent-ils porter l’absurdité au point de croire que la jouissance de sa mère, de sa sœur ou de sa fille pourrait jamais devenir criminelle ! N’est-ce pas, je vous le demande, un abominable préjugé que celui qui paraît faire un crime à un homme d’estimer plus pour sa jouissance l’objet dont le sentiment de la nature le rapproche davantage ? Il vaudrait autant dire qu’il nous est défendu d’aimer trop les individus que la nature nous enjoint d’aimer le mieux, et que plus elle nous donne de penchants pour un objet plus elle nous ordonne en même temps de nous en éloigner ! Ces contrariétés sont absurdes : il n’y a que des peuples abrutis par la superstition qui puissent les croire ou les adopter. La communauté des femmes que j’établis entraînant nécessairement l’inceste, il reste peu de chose à dire sur un prétendu délit dont la nullité est trop démontrée pour s’y appesantir davantage ; et nous allons passer au viol qui semble être au premier coup d’œil, de tous les écarts du libertinage, celui dont la lésion est le mieux établie, en raison de l’outrage qu’il paraît faire. Il est pourtant certain que le viol, action si rare et si difficile à prouver, fait moins de tort au prochain que le vol, puisque celui-ci envahit la propriété que l’autre se contente de détériorer.