Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

D.A.F. de Sade (1740-1814) Français, encore un effort… (suite)

La plus divine partie de l’humanité doit-elle donc recevoir des fers de l’autre ? Ah ! Brisez-les, la nature le veut ; n’ayez plus d’autre frein que celui de vos penchants, d’autres lois que vos seuls désirs, d’autre morale que celle de la nature ; ne languissez pas plus longtemps dans ces préjugés barbares qui flétrissaient vos charmes et captivaient les élans divins de vos cœurs ; vous êtes libres comme nous, et la carrière des combats de Vénus vous est ouverte comme à nous ; ne redoutez plus d’absurdes reproches ; le pédantisme et la superstition sont anéantis ; on ne vous verra plus rougir de vos charmants écarts ; couronnées de myrtes et de roses, l’estime que nous concevrons pour vous ne sera plus qu’en raison de la plus grande étendue que vous vous serez permis de leur donner.

 Ce qui vient d’être dit devrait nous dispenser sans doute d’examiner l’adultère ; jetons-y néanmoins un coup d’œil, quelque nul qu’il soit après les lois que j’établis. A quel point il était ridicule de le considérer comme criminel dans nos anciennes institutions ! S’il y avait quelque chose d’absurde dans le monde, c’était bien sûrement l’éternité des liens conjugaux ; il ne fallait, ce me semble, qu’examiner ou que sentir toute la lourdeur de ces liens pour cesser de voir comme un crime l’action qui les allégeait ; la nature, comme nous l’avons dit tout à l’heure, ayant doué les femmes d’un tempérament plus ardent, d’une sensibilité plus profonde qu’elle n’a fait des individus de l’autre sexe, c’était pour elles, sans doute, que le joug d’un hymen éternel était plus pesant. Femmes tendres et embrasées du feu de l’amour, dédommagez-vous maintenant sans crainte ; persuadez-vous qu’il ne peut exister aucun mal à suivre les impulsions de la nature, que ce n’est pas pour un seul homme qu’elle vous a créées, mais pour plaire indifféremment à tous. Qu’aucun frein ne vous arrête. Imitez les républicaines de la Grèce ; jamais les législateurs qui leur donnèrent des lois n’imaginèrent de leur faire un crime de l’adultère, et presque tous autorisèrent le désordre des femmes. Thomas Morus prouve, dans son Utopie, qu’il est avantageux aux femmes de se livrer à la débauche, et les idées de ce grand homme n’étaient pas toujours des rêves.

 Chez les Tartares, plus une femme se prostituait, plus elle était honorée ; elle portait publiquement au col les marques de son impudicité, et l’on n’estimait point celles qui n’en étaient point décorées. Au Pégu, les familles elles-mêmes livrent leurs femmes ou leurs filles aux étrangers qui y voyagent : on les loue à tant par jour, comme des chevaux et des voitures ! Des volumes enfin ne suffiraient pas à démontrer que jamais la luxure ne fut considérée comme criminelle chez aucun des peuples sages de la terre.