Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

D.A.F. de Sade (1740-1814) Français, encore un effort… (suite)

 Tout cela, ma chère Eugénie, est absolument fondé sur des principes que je vous ai déjà développés. Que désire-t-on quand on jouit ? Que tout ce qui nous entoure ne s’occupe que de nous, ne pense qu’à nous, ne soigne que nous. Si les objets qui nous servent jouissent, les voilà dès lors bien plus sûrement occupés d’eux que de nous, et notre jouissance conséquemment dérangée. Il n’est point d’homme qui ne veuille être despote quand il bande : il semble qu’il a moins de plaisir si les autres paraissent en prendre autant que lui. Par un mouvement d’orgueil bien naturel en ce moment, il voudrait être le seul au monde qui fût susceptible d’éprouver ce qu’il sent ; l’idée de voir un autre jouir comme lui le ramène à une sorte d’égalité qui nuit aux attraits indicibles que fait éprouver le despotisme alors. Il est faux d’ailleurs qu’il y ait du plaisir à en donner aux autres ; c’est les servir, cela, et l’homme qui bande est loin du désir d’être utile aux autres. En faisant du mal, au contraire, il éprouve tous les charmes que goûte un individu nerveux à faire usage de ses forces ; il domine alors, il est tyran. Et quelle différence pour l’amour-propre ! Ne croyons point qu’il se taise en ce cas.

 L’acte de la jouissance est une passion qui, j’en conviens, subordonne à elle toutes les autres, mais qui les réunit en même temps. Cette envie de dominer dans ce moment est si forte dans la nature qu’on la reconnaît même dans les animaux. Voyez si ceux qui sont en esclavage procréent comme ceux qui sont libres. Le dromadaire va plus loin : il n’engendre plus s’il ne se croit pas seul. Essayez de le surprendre, et par conséquent de lui montrer un maître, il fuira et se séparera sur-le-champ de sa compagne. Si l’intention de la nature n’était pas que l’homme eût cette supériorité, elle n’aurait pas créé plus faibles que lui les êtres qu’elle lui destine dans ce moment-là. Cette débilité où la nature condamna les femmes prouve incontestablement que son intention est que l’homme, qui jouit plus que jamais alors de sa puissance, l’exerce par toutes les violences que bon lui semblera, par des supplices même, s’il le veut. La crise de la volupté serait-elle une espèce de rage si l’intention de cette mère du genre humain n’était pas que le traitement du coît fût le même que celui de la colère ? Quel est l’homme bien constitué, en un mot, l’homme doué d’organes vigoureux, qui ne désirera pas, soit d’une façon, soit d’une autre, de molester sa jouissance alors ? Je sais bien qu’une infinité de sots, qui ne se rendent jamais compte de leurs sensations, comprendront mal les systèmes que j’établis ; mais que m’apportent ces imbéciles ? Ce n’est pas à eux que je parle. Plats adorateurs des femmes, je les laisse, aux pieds de leur insolente dulcinée, attendre le soupir qui doit les rendre heureux, et, bassement esclaves du sexe qu’ils devraient dominer, je les abandonne aux vils charmes de porter des fers dont la nature leur donne le droit d’accabler les autres.