Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)

Les plaisirs reçus par l’estime, Eugénie, ne sont que des plaisirs moraux, uniquement convenables à certaines têtes ; ceux de la fouterie plaisent à tous, et ces attraits séducteurs dédommagent bientôt de ce mépris illusoire auquel il est difficile d’échapper en bravant l’opinion publique, mais dont plusieurs femmes sensées se sont moquées au point de s’en composer un plaisir de plus. Fouts, Eugénie, fous donc, mon cher ange ; ton corps est à toi, à toi, seule ; il n’y a que toi seule au monde qui aies le droit d’en jouir et d’en faire jouir qui bon te semble.

Profite du plus heureux temps de ta vie : elles ne sont que trop courtes, ces heureuses années de nos plaisirs ! Si nous sommes assez heureuses pour en avoir joui, de délicieux souvenirs nous consolent et nous amusent encore dans notre vieillesse. Les avons-nous perdues ?… des regrets amers, d’affreux remords nous déchirent et se joignent aux tourments de l’âge, pour entourer de larmes et de ronces les funestes approches du cercueil…

Aurais-tu la folie de l’immortalité? Eh bien, c’est en foutant, ma chère, que tu restera dans la mémoire des hommes. On a bientôt oublié les Lucrèce, tandis que les Théodora et les Messaline font les plus doux entretiens et les plus fréquents de la vie. Comment donc, Eugénie, ne pas préférer un parti qui, nous couronnant de fleurs ici-bas, nous laisse encore l’espoir d’un culte bien au-delà du tombeau ! Comment, dis-je, ne pas préférer ce parti à celui qui, nous faisant végéter imbécilement sur la terre, ne nous promet après notre existence que du mépris et de l’oubli ?

Eu, à Mme de Saint-Ange : Ah ! Cher amour, comme ces discours séducteurs enflamment ma tête et séduisent mon âme ! Je suis dans un état difficile à peindre… Et, dis-moi, pourras-tu me faire connaître quelques-unes de ces femmes… (troublée) qui me prostitueront, si je leur dis ?

S-A : D’ici à ce que tu aies plus d’expérience, cela ne regarde que moi seule, Eugénie ; rapporte-t’en à moi de ce soin, et plus encore à toutes les précautions que je prendrai pour couvrir tes égarements : mon frère et cet ami solide qui t’instruit seront les premiers auxquels je veux que tu te livres ; nous en trouverons d’autres après. Ne t’inquiète pas, chère amie : je te ferai voler de plaisir en plaisir, je te plongerai dans une mer de délices, je t’en comblerai, mon ange, je t’en rassasierai!

Eu, se précipitant dans les bras de Mme de Saint-Ange : Oh ! Ma bonne, je t’adore ; va, tu n’auras jamais une écolière plus soumise que moi ; mais il me semble que tu m’as fait entendre, dans nos anciennes conversations, qu’il était difficile qu’une jeune épouse se jette dans le libertinage sans que l’époux qu’elle doit prendre après ne s’en aperçoive ?

S-A : Cela est vrai, ma chère, mais il y a des secrets qui raccommodent toutes ces brèches. Je te promets de t’en donner connaissance, et alors, eusses-tu foutu comme Antoinette, je me charge de te rendre aussi vierge que le jour que tu vins au monde.