Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)

Eu : Ah ! Tu es délicieuse ! Allons, continue de m’instruire. Presse-toi donc en ce cas de m’apprendre quelle doit être la conduite d’une femme dans le mariage.

S-A : Dans quelque état que se trouve une femme, ma chère, soit fille, soit femme, soit veuve, elle ne doit jamais avoir d’autre but, d’autre occupation, d’autre désir que de se faire foutre du matin au soir : c’est pour cette unique fin que l’a créée la nature ; mais si, pour remplir cette intention, j’exige d’elle de fouler aux pieds tous les préjugés de son enfance, si je lui prescris la désobéissance la plus formelle aux ordres de sa famille, le mépris le plus constaté de tous les conseils de ses parents, tu conviendras, Eugénie, que, de tous les freins à rompre, celui dont je lui conseillerai le plus tôt l’anéantissement sera bien sûrement celui du mariage.

Considère en effet, Eugénie, une jeune fille à peine sortie de la maison paternelle ou de sa pension, ne connaissant rien, n’ayant nulle expérience, obligée de passer subitement de là dans les bras d’un homme qu’elle n’a jamais vu, obligée de jurer à cet homme, aux pieds des autels, une obéissance, une fidélité d’autant plus injuste qu’elle n’a souvent au fond de son cœur que le plus grand désir de lui manquer de parole. Est-il au monde, Eugénie, un sort plus affreux que celui-là? Cependant la voilà liée, que son mari lui plaise ou non, qu’il ait ou non pour elle de la tendresse ou des mauvais procédés ; son honneur tient à ses serments : il est flétri si elle les enfreint ; il faut qu’elle se perde ou qu’elle traîne le joug, dût-elle en mourir de douleur. Eh ! Non, Eugénie, non, ce n’est point pour cette fin que nous sommes nées ; ces lois absurdes sont l’ouvrage des hommes, et nous ne devons pas nous y soumettre. Le divorce même est-il capable de nous satisfaire ? Non, sans doute. Qui nous répond de trouver plus sûrement dans de seconds liens le bonheur qui nous a fuies dans les premiers ? Dédommageons-nous donc en secret de toute la contrainte de nœuds si absurdes, bien certaines que nos désordres en ce genre, à quelques excès que nous puissions les porter, loin d’outrager la nature, ne sont qu’un hommage sincère que nous lui rendons ; c’est obéir à ses lois que de céder aux désirs qu’elle seule a placés dans nous ; ce n’est qu’en lui résistant que nous l’outragerions. L’adultère que les hommes regardent comme un crime, qu’ils ont osé punir comme tel en nous arrachant la vie, l’adultère, Eugénie, n’est donc que l’acquit d’un droit à la nature, auquel les fantaisies de ces tyrans ne sauraient jamais nous soustraire. Mais n’est-il pas horrible, disent nos époux, de nous exposer à chérir comme nos enfants, à embrasser comme tels, les fruits de vos désordres ? C’est l’objection de Rousseau ; c’est, j’en conviens, la seule un peu spécieuse dont on puisse combattre l’adultère.