D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)
Un de mes amis vit habituellement avec la fille qu’il a eue de sa propre mère ; il n’y a pas huit jours qu’il dépucela un garçon de treize ans, fruit de son commerce avec cette fille ; dans quelques années ce même jeune homme épousera sa mère ; ce sont les vœux de mon ami ; il leur fait un sort analogue à ces projets, et ses intentions, je le sais, sont de jouir encore des fruits qui naîtront de cet hymen ; il est jeune et peut l’espérer. Voyez, tendre Eugénie, de quelle quantité d’incestes et de crimes se serait souillé cet honnête ami s’il y avait quelque chose de vrai dans le préjugé qui nous fait admettre du mal à ces liaisons. En un mot, sur toutes ces choses, je pars, moi, toujours d’un principe : si la nature défendait les jouissances sodomites, les jouissances incestueuses, les pollutions, etc., permettrait-elle que nous y trouvassions autant de plaisir ? Il est impossible qu’elle puisse tolérer ce qui l’outrage véritablement.
Eu : Oh ! Mes divins instituteurs, je vois bien que, d’après vos principes, il est très peu de crimes sur la terre, et que nous pouvons nous livrer en paix à tous nos désirs, quelque singuliers qu’ils puissent paraître aux sots qui, s’offensant et s’alarmant de tout, prennent imbécilement les institutions sociales pour les divines lois de la nature. Mais cependant, mes amis, n’admettez-vous pas au moins qu’il existe de certaines actions absolument révoltantes et décidément criminelles, quoique dictées par la nature ? Je veux bien convenir avec vous que cette nature, aussi singulière dans les productions qu’elle crée que variée dans les penchants qu’elle nous donne, nous porte quelquefois à des actions cruelles ; mais si, livrés à cette dépravation, nous cédions aux inspirations de cette bizarre nature, au point d’attenter, je le suppose, à la vie de nos semblables, vous m’accorderez bien, du moins je l’espère, que cette action serait un crime ?
D : Il s’en faut bien, Eugénie, que nous puissions vous accorder une telle chose. La destruction étant une des premières lois de la nature, rien de ce qui détruit ne saurait être un crime. Comment une action qui sert aussi bien la nature pourrait-elle jamais l’outrager ? Cette destruction, dont l’homme se flatte, n’est d’ailleurs qu’une chimère ; le meurtre n’est point une destruction ; celui qui le commet ne fait que varier les formes ; s’il rend à la nature des éléments dont la main de cette nature habile se sert aussitôt pour récompenser d’autres êtres ; or, comme les créations ne peuvent être que des jouissances pour celui qui s’y livre, le meurtrier en prépare donc une à la nature ; il lui fournit des matériaux qu’elle emploie sur-le-champ, et l’action que des sots ont eu la folie de blâmer ne devient plus qu’un mérite aux yeux de cette agente universelle. C’est notre orgueil qui s’avise d’ériger le meurtre en crime.