Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)

Nous estimant les premières créatures de l’univers, nous avons sottement imaginé que toute lésion qu’endurerait cette sublime créature devrait nécessairement être un crime énorme ; nous avons cru que la nature périrait si notre merveilleuse espèce venait à s’anéantir sur ce globe, tandis que l’entière destruction de cette espèce, en rendant à la nature la faculté créatrice qu’elle nous cède, lui redonnerait une énergie que nous lui enlevons en nous propageant ; mais quelle inconséquence, Eugénie ! Eh quoi ! Un souverain ambitieux pourra détruire à son aise et sans le moindre scrupule les ennemis qui nuisent à ses projets de grandeur… des lois cruelles, arbitraires, impérieuses, pourront de même assassiner chaque siècle des millions d’individus… et nous, faibles et malheureux particuliers, nous ne pourrons pas sacrifier un seul être à nos vengeances ou à nos caprices ? Est-il rien de si barbare, de si ridiculement étrange, et ne devons-nous pas, sous le voile du plus profond mystère, nous venger amplement de cette ineptie ?

Eu : Assurément… Oh  ! Comme votre morale est séduisante, et comme je la goûte !… Mais, dites-moi, Dolmancé, là, bien en conscience, ne vous seriez-vous pas quelquefois satisfait en ce genre ?

D : Ne me forcez pas à vous dévoiler mes fautes : leur nombre et leur espèce me contraindraient trop à rougir. Je vous les avouerai peut-être un jour.

S-A : Dirigeant le glaive des lois, le scélérat s’en est souvent servi pour satisfaire à ses passions.

D : Puissé-je n’avoir pas d’autres reproches à me faire !

S-A, lui sautant au col : Homme divin!… je vous adore !… Qu’il faut avoir d’esprit et de courage pour avoir, comme vous, goûté tous les plaisirs ! C’est à l’homme de génie seul qu’est réservé l’honneur de briser tous les freins de l’ignorance et de la stupidité. Baisez-moi, vous êtes charmant !

D : Soyez franche, Eugénie, n’avez-vous jamais souhaité la mort à personne ?

Eu : Oh ! Oui, oui, et j’ai sous mes yeux chaque jour une abominable créature que je voudrais voir depuis longtemps au tombeau.

S-A : Je gage que je devine.

Eu : Qui soupçonnes-tu?

S-A : Ta mère.

Eu : Ah ! Laisse-moi cacher ma rougeur dans ton sein!

D : Voluptueuse créature ! Je veux t’accabler à mon tour des caresses qui doivent être le prix de l’énergie de ton cœur et de ta délicieuse tête. (Dolmancé la baise sur tout le corps, et lui donne de légères claques sur les fesses ; il bande ; Mme de Saint-Ange empoigne et secoue son vit ; ses mains, de temps en temps, s’égarent aussi sur le derrière de Mme de Saint-Ange, qui le lui prête avec lubricité ; un peu revenu à lui, Dolmancé continue.) Mais cette idée sublime, pourquoi ne l’exécuterions-nous pas ?