D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)
Eu : Mais si elles étaient faites par-devant ne serait-ce pas un crime ?
S-A : N’imagine donc pas, pauvre folle, qu’il y ait le moindre mal à se prêter de telle manière que ce puisse être à détourner du grand chemin la semence de l’homme, parce que la propagation n’est nullement le but de la nature : elle n’en est qu’une tolérance ; et lorsque nous n’en profitons pas, ses intentions sont bien mieux remplies. Eugénie, sois l’ennemie jurée de cette fastidieuse propagation, et détourne sans cesse, même en mariage, cette perfide liqueur dont la végétation ne sert qu’à gâter nos tailles, qu’à émousser dans nous les sensations voluptueuses, nous flétrir, nous vieillir et déranger notre santé ; engage ton mari à s’accoutumer à ces pertes ; offre-lui toutes les routes qui peuvent éloigner l’hommage du temple ; dis-lui que tu détestes les enfants, que tu le supplies de ne point t’en faire. Observe-toi sur cet article, ma bonne car, je te le déclare, j’ai la propagation dans une telle horreur que je cesserais d’être ton amie à l’instant où tu deviendrais grosse. Si, pourtant, ce malheur t’arrive, sans qu’il y ait de ta faute, préviens-moi dans les sept ou huit premières semaines, et je te ferai couler cela tout doucement. Ne crains point l’infanticide ; ce crime est imaginaire ; nous sommes toujours les maîtresses de ce que nous portons dans notre sein, et nous ne faisons pas plus de mal à détruire cette espèce de matière qu’à purger l’autre, par des médicaments, quand nous en éprouvons le besoin.
Eu : Mais si l’enfant était à terme ?
S-A : Fût-il au monde, nous serions toujours les maîtresses de le détruire. Il n’y a sur la terre aucun droit plus certain que celui des mères sur leurs enfants. Il n’est aucun peuple qui n’ait reconnu cette vérité: elle est fondée en raison, en principe.
D : Ce droit est dans la nature… il est incontestable. L’extravagance du système déifique fut la source de toutes ces erreurs grossières. Les imbéciles qui croyaient en Dieu, persuadés que nous ne tenions l’existence que de lui, et qu’aussitôt qu’un embryon était en maturité, une petite âme, émanée de Dieu, venait l’animer aussitôt ; ces sots, dis-je, durent assurément considérer comme un crime capital la destruction de cette petite créature, parce que, d’après eux, elle n’appartenait plus aux hommes. C’était l’ouvrage de Dieu ; elle était à Dieu : en pouvait-on disposer sans crime ? Mais depuis que le flambeau de la philosophie a dissipé toutes ces impostures, depuis que la chimère divine est foulée aux pieds, depuis que, mieux instruits des lois et des secrets de la physique, nous avons développé le principe de la génération, et que ce mécanisme matériel n’offre aux yeux rien de plus étonnant que la végétation du grain de blé, nous en avons appelé à la nature de l’erreur des hommes.