Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)

Etendant la mesure de nos droits, nous avons enfin reconnu que nous étions parfaitement libres de reprendre ce que nous n’avions donné qu’à contre-cœur ou par hasard, et qu’il était impossible d’exiger d’un individu quelconque de devenir père ou mère s’il n’en a pas envie ; que cette créature de plus ou de moins sur la terre n’était pas d’ailleurs d’une bien grande conséquence, et que nous devenions, en un mot, aussi certainement les maîtres de ce morceau de chair, quelque animé qu’il fût, que nous le sommes des ongles que nous retranchons de nos doigts, des excroissances de chair que nous extirpons de nos corps, ou des digestions que nous supprimons de nos entrailles, parce que l’un et l’autre sont de nous, parce que l’un et l’autre sont à nous, et que nous sommes absolument possesseurs de ce qui émane de nous. En vous développant, Eugénie, la très médiocre importance dont l’action du meurtre était sur terre, vous avez dû voir de quelle petite conséquence doit être également tout ce qui tient à l’infanticide, commis sur une créature déjà même en âge de raison ; il est donc inutile d’y revenir : l’excellence de votre esprit ajoute à mes preuves. La lecture de l’histoire des mœurs de tous les peuples de la terre, en vous faisant voir que cet usage est universel, achèvera de vous convaincre qu’il n’y aurait que de l’imbécillité à admettre du mal à cette très indifférente action.

Eu, d’abord à Dolmancé : Je ne puis vous dire à quel point vous me persuadez. (S’adressant ensuite à Mme de Saint-Ange.) Mais, dis-moi, ma toute bonne, t’es-tu quelquefois servie du remède que tu m’offres pour détruire intérieurement le fœtus ?

S-A : Deux fois, et toujours avec le plus grand succès ; mais je dois t’avouer que je n’en ai fait l’épreuve que dans les premiers temps ; cependant deux femmes de ma connaissance ont employé ce même remède à mi-terme, et elles m’ont assuré qu’il leur avait également réussi. Compte donc sur moi dans l’occasion, ma chère, mais je t’exhorte à ne te jamais mettre dans le cas d’en avoir besoin : c’est le plus sûr. Reprenons maintenant la suite des détails lubriques que nous avons promis à cette jeune fille. Poursuivez, Dolmancé, nous en sommes aux fantaisies sacrilèges.

D : Je suppose qu’Eugénie est trop revenue des erreurs religieuses pour ne pas être intimement persuadée que tout ce qui tient à se jouer des objets de la piété des sots ne peut avoir aucune sorte de conséquence. Ces fantaisies en ont si peu qu’elles ne doivent, dans le fait, échauffer que de très jeunes têtes, pour qui toute rupture de frein devient une jouissance ; c’est une espèce de petite vindicte qui enflamme l’imagination et qui, sans doute, peut amuser quelques instants ; mais ces voluptés, ce me semble, doivent devenir insipides et froides, quand on a eu le temps de s’instruire et de se convaincre de la nullité des objets dont les idoles que nous bafouons ne sont que la chétive représentation.